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INTERVIEW DE LARRY SWEDROE – AUTEUR AMÉRICAIN TRÈS RÉPUTÉ

J’ai eu le plaisir d’interviewer Larry Swedroe, le directeur scientifique d’une communauté de conseillers financiers aux USA. J’aime beaucoup les ouvrages qu’il a écrits, en particulier “The incredible shrinking alpha” et “Reducing the risk of black swans” (ils n’ont pas été traduits en français). Il écrit aussi sur différents blogs, notamment sur etf.com.

 

Il s’agit d’un style d’investissement avancé. J’écrirai des articles sur le blog qui expliqueront plus en détail les principes qu’il esquisse ici.

Bonjour Larry,

Je voudrais vous remercier pour cette interview. Je suis sûr que vos connaissances sur l’investissement seront très précieuses pour public français.

Il s’agit d’un exercice difficile, car vos connaissances dépassent largement celles d’un entretien d’une heure.  Par ailleurs, nous allons tenter de nous projeter sur le marché français, très différent de celui des États-Unis. Par exemple, moins de 100 000 investisseurs privés utilisent trackers en France. Ils sont plus de cinq millions aux États-Unis. Cependant, nous espérons tous deux que cela va changer!

Mais bien sûr, si un lecteur veut en savoir plus, il devrait vous lire des livres.

  1. Table des matières masquer

    Quel est votre métier ?

Larry : Je suis le directeur scientifique de Buckhingam, une entreprise de conseil financier pour les particuliers et pour des institutionnels. Je conseille aussi d’autres réseaux de conseillers financiers. Cela correspond à 26 milliards $ d’encours.

  1. Comment décrivez-vous votre style d’investissement ? Si je ne me trompe pas, vous l’appelez « evidence based investing » ?

Larry : Il s’agit de donner des conseils financiers non pas sur un avis, mais sur des fondements académiques, validés par la communauté scientifique. On trouve ces informations dans des revues telles que le “journal of finance” ou le “journal of portfolio management”. S’appuyer sur Barron’s ou CNBC pour prendre des décisions financières, c’est comme si un médecin s’appuyait sur Men’s Health pour vous soigner.

Au final, toute cette recherche académique a démontré que ce l’on appelle l’ « investissement passif » est ce qui a le plus de chance de vous permettre de réaliser vos projets (au contraire de l’investissement actif). L’investissement actif s’appuie sur la sélection individuelle d’actions (stock-picking) et le market-timing (chercher à investir au bon moment). L’investisseur passif cherche à obtenir la performance moyenne des classes d’actifs (actions, obligations, etc.). Il peut aussi s’appuyer sur les « facteurs » (small, value, momentum, quality …). Je pense que nous en reparlerons. Un élément clé est aussi un rééquilibrage de leur portefeuille.

  1. Est-ce que vous croyez aux marchés efficients ? Ou faites-vous plutôt partie du courant de pensée de la finance comportementale ?

Larry : L’hypothèse des marchés efficients est appelée une hypothèse pour une bonne raison … c’est faux ou tout du moins imparfait. Si c’était juste, cela s’appellerait la « loi » des marchés efficients. Mais ce n’est pas parce qu’un modèle est imparfait qu’il est inutile. Ce n’est pas un appareil photo qui réplique exactement ce que vous regardez. C’est un outil qui vous permet d’avancer dans votre réflexion et vous aide à mieux comprendre comment fonctionne le monde. D’ailleurs, l’hypothèse des marchés efficients ne dit jamais si le prix de marché est vrai ou faux, mais qu’il s’agit de la meilleure estimation du prix. D’ailleurs, personne ne sait quel est le « vrai » prix.

Il y a de nombreuses preuves, le marché n’est pas complètement efficient, mais il est hautement efficient. En fait, il y a des poches d’inefficiences.  Elles existent notamment à cause des erreurs que font les investisseurs, et notamment les investisseurs particuliers. Elles persistent aussi à cause de ce que l’on appelle la « limite à l’arbitrage » (NDLR: il n’y a pas assez d’argent pour contrecarrer ces ineficiences). En effet, « shorter » (vendre à découverts) ces inefficiences a un coût élevé et est souvent interdit aux institutionnels.

À titre d’exemple,  le momentum est une inefficience de marché. D’ailleurs, même E.Fama, souvent considéré comme le père des marchés efficient croit dans une certaine mesure au momentum. Il est le conseiller d’un émetteur de tracker (DFA) qui fait des trackers momentum.

Penser que les marchés sont hautement efficients, et non parfaitement efficients, vous amène vers la gestion passive.

  1. Oui d’ailleurs, sur le site de Fama ont voit qu’il produit des portefeuilles de type « momentum ». S’il croit tant au momentum, pourquoi on ne le retrouve pas dans son dernier modèle, le « 5 factor model » ? Il a ajouté quality et investment et non momentum.

Larry : En fait, lorsque l’on choisit un modèle on cherche la « parcimonie ». On veut le plus petit nombre de facteurs possible. Si l’on a trop de facteurs, cela devient impossible de construire un portefeuille. Dans mon livre, « the incredible shrinking alpha » j’explique l’évolution de ces modèles.

On a commencé avec le CAPM  (Capital Asset Pricing Model), avec un seul facteur, le beta marché. C’était la première explication du rapport entre le risque et la performance. Mais on a découvert des anomalies que le modèle ne pouvait pas expliquer. Le modèle ne pouvait expliquer que 2/3 des différences de performance. Prenons pour exemple 2 portefeuilles d’actions diversifiés, l’un faisant 10% et l’autre 13%. Le CAPM explique 2% des 3% d’écart. Le 1% suivant pouvant être de l’alpha (la performance du gérant, notamment en sélectionnant astucieusement les entreprises) ou dû à un facteur pas encore découvert.

Eugène Fama a alors ajouté deux facteurs « size » (taille) et « value » (valorisation). Le modèle a alors pu expliquer 92% de la différence de performance entre des portefeuilles diversifiés.

5 ans plus tard, Mark Carhart a ajouté le facteur momentum. Fama & French l’ont aussi incorporé, c’est d’ailleurs parfois appelé le modèle de Fama French à 4 facteurs. On a alors pu expliquer 95% des différences.

Robert Novy-Marx a plus récemment ajouté le facteur « profitabilité », que l’on peut associer au facteur « qualité ».

Mais si l’on fait la liste de l’ensemble des facteurs, on arrive à plus de 300. C’est ce que l’on l’appelle le « factor zoo ». Il faut donc s’assurer de la robustesse de ces facteurs, dans le temps et dans différents pays. Autre point, ces facteurs sont robustes s’ils fonctionnent avec des variations de définition, de calcul. Par exemple, le « value » fonctionne qu’on le calcule en fonction du cours sur bénéfice, cours sur actifs ou cours sur ventes. C’est mieux si l’on peut expliquer que ces facteurs sont des risques, car cela veut dire qu’ils ne peuvent être pas être arbitrés et vont perdurer. Mais même s’ils sont dus à des comportements, ils peuvent aussi persister.

Au final, on a market beta, size, value, momentum, quality, investment et low beta. En faisant un modèle à 4 ou 5 facteurs, vous allez approcher un taux d’explication de 100%. Le dernier modèle de Fama & French utilise 5 facteur. Cependant, ils pourraient se passer du facteur value, car il est redondant avec les autres facteurs.

  1. Le smart beta, dont on parle tant, c’est donc l’utilisation de ces facteurs ?

Larry : Le smart beta est un terme marketing. Le beta c’est juste votre niveau d’exposition à un facteur dont on a parlé plus haut. Le beta ne peut être smart (intelligent) ou idiot, c’est du beta, c’est tout.

Cela étant il y a des choses « intelligentes » à faire pour minimiser des façons classiques de suivre un indice. Il est possible de faire des screen, pour limiter l’exposition à certains facteurs indésirables.  Mais au final, c’est bien de l’exposition aux facteurs.

  1. Dans votre livre « reducing the risk of black swan » vous recommandez un portefeuille mixant des obligations d’État et des actions « small value », pouvez-vous nous expliquer ce concept ?

Larry : En fait, ce n’est pas vraiment une recommandation, car il n’y a pas d’unique bon portefeuille. Il faut adapter le portefeuille à chacun, en fonction de plein de choses dont sa volonté et sa capacité à prendre des risques. Cependant, le principe est certainement intéressant pour pas mal de gens. Au lieu de détenir le marché actions, vous détenez des actions « small value ». Elles ont particulièrement bien performé … parce qu’elles sont plus risquées et non parce qu’elles sont meilleures. De manière générale quand le marché monte, les small value sur performent. Par exemple, en 2003, le marché (US) a fait 30% et les small value 45%. Lorsque les actions baissent, les small value baissent plus. Mais comme elles rapportent plus sur le long terme, on peut faire un portefeuille avec plus d’obligations gouvernementales … et ces obligations sont anti-corellées avec les actions pendant les krachs. C’est ce que l’on appelle le « fly to quality ». Au final, cela fait un portefeuille très efficient, avec en particulier une perte maximale relativement contenue.

  1. Il n’y a pas (encore) de tracker small value éligible au PEA, est-ce une bonne idée de mixer un tracker small et un tracker value ?

Larry : C’est possible bien sûr, mais l’effet sera moins fort. En effet, l’effet value est bien plus fort sur les petites capitalisations plutôt que sur les grandes capitalisations. Il faudra donc mettre une part plus significative d’actions par rapport aux obligations d’État.

  1. Revenons à des choses plus basiques, la diversification géographique. Quelle est la bonne répartition géographique ?

Larry : Oui, une erreur très fréquente parmi les épargnants de tous les pays, même les plus avancés, est ce que j’appelle « confondre le familier avec le sûr » (the familiar with the safe). C’est le biais de pays de résidence (“home country bias”). Typiquement, les investisseurs américains ont 80% voire 90% de leur capital en actions américaines, alors qu’elles représentent moins de 60% de la capitalisation mondiale.

À mon avis, le point de départ est de répartir son portefeuille en fonction de la capitalisation mondiale. Cela étant, il est possible d’avoir un petit biais pour son pays de résidence. En effet, aux États-Unis, les fonds en actions américaines sont moins chers et ont un léger avantage fiscal.

Une autre raison très importante à la diversification : les revenus de son travail sont généralement très liés à son pays de résidence. Si vos revenus sont très liés à l’économie française, il faut diversifier ce risque. Et tout particulièrement si vous êtes jeunes et que vos revenus futurs (votre « labor capital ») sont importants par rapport à votre capital financier. Imaginez ce qui s’est passé au Japon. Dans les années 90, c’était le pays économiquement le plus sûr au monde… ce n’est plus vraiment le cas aujourd’hui. Et tous les actifs japonais ont depuis très mal performé par rapport au reste du monde.

Pour les obligations ce n’est pas la même chose. Les obligations sont la partie non risquée de votre portefeuille. Je partirais sur des obligations sûres d’État de la zone Euro.

  1. Et lorsque vous construisez un portefeuille, prenez-vous en compte des prévisions de performance des différents actifs (« expected returns ») ?

Larry : Oui c’est indispensable. Par exemple, il faut bien savoir s’il y a une prime de risque pour investir en actions. Je ne sais pas si cet écart entre les actions et le cash est de 4%, 5% ou 8%, mais je sais que l’écart est significatif.

Si on veut évaluer le niveau de marché, la recherche académique a démontré qu’il fallait soit s’appuyer sur le PER (Price Earning Ratio – les bénéfices divisés par le prix de l’action) soit sur le CAPE10, qui est un PER moyenné sur 10 ans. Le retour attendu c’est l’inverse du PER. On peut y ajouter l’inflation pour connaître le retour attendu. Actuellement, les retours attendus sont plus importants en Europe qu’aux États-Unis et encore plus importants dans les marchés émergents.

Pour les obligations, la meilleure estimation des retours futurs est le rendement actuel des obligations à 10 ans.

  1. Est-ce que cela veut dire qu’il faut sur pondérer les pays européens et émergents ?

Larry : Non, s’il y a un retour attendu supérieur c’est qu’il y a une perception d’un risque supérieur. Encore une fois, le point de départ doit être une allocation géographique proche de celle du marché. Il est peu probable d’être plus malin que le marché. Mais si je suis prêt à prendre plus de risques, je peux aller vers plus d’Europe et plus de marchés émergents !

Par ailleurs, il s’agit bien sûr d’une performance attendue plus forte et non d’une performance garantie.

  1. Parlons d’autres stratégies d’investissement. Prenons par exemple, l’investissement dans les entreprises qui versent des dividendes croissants. Qu’en pensez-vous ?

Larry : Le premier point est qu’il n’y a aucune théorie financière qui expliquerait qu’investir dans des sociétés à dividendes permettrait d’augmenter la performance. D’ailleurs, quand une entreprise verse son dividende son cours est automatiquement ajusté d’autant.

Cela étant, on peut considérer que les entreprises qui versent depuis longtemps un dividende croissant sont des entreprises de qualité. Cela vous expose au facteur « profitability ».

Mais cela pose tout de même des problèmes. Vous allez avoir un portefeuille moins diversifié. En effet, il y a un nombre significatif d’entreprises qui ne payent pas de dividendes. De plus, ce n’est pas efficient fiscalement.

  1. Et que pensez-vous de l’analyse fondamentale de type value?

Larry : Les chances de faire mieux que le marché sont très faibles. Ce qu’il faut comprendre c’est qu’aux États-Unis il y a 70 ans 90% du marché était fait par les particuliers. À l’époque, il était assez facile à Warren Buffet de faire mieux que le marché. Aujourd’hui, 90% des échanges sont entre professionnels. Ce sont ces professionnels, particulièrement bien formés et travaillant sur ces sujets à plein temps, qu’il faudrait battre.

D’ailleurs, beaucoup des grands gérants réputés performent de moins en moins bien.

  1. Et que pensez-vous des stratégies de sélection d’entreprises sur base quantitative ?

Larry : Oui les formules telles, que la « Magic formula » de J. Greenblatt sont tout à fait valides. Cela correspond à s’exposer à des facteurs. Au final, comme vous sélectionnez peu d’entreprises (disons 30), cela donne un portefeuille très extrême que vous ne pourrez pas retrouver dans un fonds ou tracker. Vous aurez alors une plus grande dispersion des résultats possibles.

Larry, je voudrais vraiment vous remercier pour ce temps passé. Cet échange intéressera certainement les épargnants français cherchant à dynamiser simplement leur épargne, avec des trackers.

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3 commentaires

  1. Bonsoir Édouard,
    Pourriez-vous me conseiller un ou deux articles expliquant votre réticence sur le small non value (en l’absence de possibilité d’investir en small value US) ?
    Merci
    PS : une nouvelle édition du livre de Larry est sortie, votre lien vers Amazon ne fonctionne plus.

  2. Bonjour Édouard,

    Je remarque que le Larry Portfolio est assez proche de ce que vous proposez aux épargnants avancés dans votre second livre.

    Pour la partie US, vous restez sur le S&P500 alors qu’on aurait pu envisager le RS2K. Est-ce pour diversifier ? ou bien parce que le facteur size sans le facteur value ne serait plus significatif aux US ?

    Quitte à s’autoriser 5% sur CTO, aurait-on pu imaginer : 5% small value US, 10% small value europe, 15% émergents, 70% fonds € ? Quels seraient les principaux avantages/inconvénients par rapport au portefeuille 5% obligations émergentes, 10% S&P500, 10% émergents, 15% small value europe, 60% fonds € ?

    Merci

    1. Bonsoir,
      Oui j’aime bien le Larry’s Portfolio et donc le small value. En revanche, je ne suis pas plus fan que ça du small (non value).
      Le truc c’est qu’on peut théoriquement mettre du small value europe dans son pea (mais peut de courtiers l’autorisent) et pas le small value usa.
      Sinon, les obligations émergentes cela ne me paraît pas indispensable, surtout si son PEA n’est pas plein.