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L’histoire des fonds passifs et des ETF depuis 1950

Comme je l’expliquais dans un récent article, les premiers fonds communs sont nés au XVIIIe siècle, et plutôt dans une optique passive. Cependant, les fonds passifs et les ETF tels que nous les connaissons aujourd’hui ne sont réellement apparus que dans les années 1970. Le livre Trillions de Robin Wigglesworth raconte cette histoire. Je partage avec vous quelques éléments clés de cette saga.

Les fondements académiques dès la fin du XIXe siècle

Comme je le disais, les premiers fonds sont apparus sous une forme passive. Cependant, le concept n’était pas théorisé. Les premières théories sur la gestion passive et le “marché” sont apparues au XIXe siècle. Par exemple, George Rutledge Gibson écrivait dès 1889 que la valeur d’une action était le résultat de la meilleure intelligence possible. Mais les théories du marché sont vraiment nées au milieu du XXe siècle. Harry Markowitz a notamment montré l’importance de regarder un portefeuille financier dans son ensemble et l’attrait de la diversification. Markowitz a notamment publié son article “Portfolio Selection” en 1952 qui expliquait comment construire un portefeuille financier de façon quantitative en trouvant un bon équilibre entre la performance et le risque. Markowitz sera récompensé par un prix Nobel d’économie en 1990. Pourtant, son responsable de thèse, le célèbre Milton Friedman, a failli lui refuser son Doctorat, car le sujet n’était pas assez économique. De nombreux théoriciens du portefeuille et du marché ont été récompensés par un prix Nobel : Merton Miller, William Sharpe et Eugene Fama.

Les pionniers : Wells Fargo, American National Bank & Batterymarch

Cependant, ce savoir académique ne s’est pas diffusé très vite dans la pratique des gestionnaires d’actifs. C’est la très vénérable banque Wells Fargo qui s’est lancée en premier, en créant, en 1964, un think tank pour investir de manière plus scientifique, à l’aide d’ordinateurs de l’époque (un IBM 7090, en photo en titre de cet article). Ce think tank était dirigé par Mac McQuown, et s’est appuyé sur des pointures dans le domaine académique : William Sharpe, Jim Lorie, Harry Markowitz, Fischer Black, et bien d’autres. Ils étaient très proches de Eugene Fama et de l’université de Chicago (notamment du CSRP – Center for Research in Securities Price).

Les résultats ont tout d’abord abouti au lancement d’un fonds ayant vocation à acheter des actions à faible beta, pour tenter de battre le marché. Ils ont ensuite voulu créer un fonds achetant l’ensemble de marché, mais à effet de levier (en empruntant pour plus investir). Finalement, après plusieurs péripéties, ils ont lancé, en 1971, pour le fonds de pension de Samsonite (le fabricant de valise), un vrai fonds passif. Cela consistait à acheter en équipondéré, les 1500 plus grandes capitalisations américaines. En 1973, ils lancèrent un fonds passif (pondéré en fonction de la capitalisation boursière) suivant le S&P 500. Le fonds était accessible aux institutionnels.

Cependant, c’est American National Bank mis sur le marché le premier fonds indiciel (suivant le S&P 500) ouvert aux particuliers.

Batterymarch lance un fonds S&P 500 en 1972, mais qui ne trouve preneur qu’en 1974.

Ces 3 premiers achetaient un échantillon d’entreprise pour répliquer le S&P 500 et non l’ensemble des sociétés composant les sociétés. C’est encore une méthode de réplication utilisée (mais pas sur le S&P 500).

Il y avait beaucoup de scepticisme de la part des professionnels de la finance. Les reproches que l’on entend aujourd’hui contre les ETF et les fonds passifs étaient déjà quasiment les mêmes. Par exemple, certains s’inquiétaient que les fonds indiciels affaiblissent la fonction d’allocation du capital des marchés.

Cependant, les fonds indiciels ont commencé à convaincre petit à petit et fin 1979, l’encours de ces fonds était de 2,9 milliards de dollars.

Vanguard et John Bogle

Au départ, John Bogle, le célèbre fondateur de Vanguard (voir mon article sur les ETF Vanguard) n’était pas particulièrement en faveur des fonds indiciels. Mais il a dès le départ il a eu une vision sur la nécessité d’avoir des frais de gestion peu élevés et même de la suppression des frais d’entrée (une idée très iconoclaste à l’époque). Après sa thèse à Princeton, au début des années cinquante, il entre chez Wellington, un gestionnaire d’actifs. Il gravit les échelons rapidement et devient le dirigeant.

Cependant, au début des années 70, il n’est plus en accord avec le reste du management, qui veut qu’il soit licencié. Après de nombreuses péripéties, il organise un coup de force. Il fait en sorte que les administrateurs des fonds de Wellington créent une entité dont les fonds seraient les actionnaires à 100% et dont le but était de gérer le back office des fonds de Wellington. Les éventuels profits de cette société seraient reversés aux fonds. Vanguard est né le 24 septembre 1974. Il y avait 59 employés. Bogle n’avait pas l’intention d’en rester là.

Il continue ses recherches sur la performance des fonds et s’aperçoit que de 1945 à 1975 le S&P 500 a eu une performance annualisée de 11,3% tandis que les fonds investis en actions américaines ont eu une performance de 9,7%.Il propose alors aux dirigeants des fonds Wellington de lancer un fonds passif ouvert au public. Au lancement du fonds, en 1975, Vanguard n’avait réussi qu’à récolter 11 millions d’encours, ce qui lui a permis d’acheter 280 capitalisations (et non les 500 capitalisations du S&P 500). Les frais annuels étaient de 0,3% et les frais d’entrée de 6%. Ces frais d’entrée ont été annulés en 1977. Cependant, le fonds n’a pas dépassé 100 millions de dollars d’encours avant 1981. Le développement de Vanguard a reposé sur beaucoup sur les fonds obligataires, puis sur le développement de l’enveloppe fiscale américaine 401k. Aussi, les concurrents de Vanguard développaient des fonds indiciels pour les institutionnels et non les particuliers. Le Vanguard S&P 500 est devenu en avril 2000 le plus gros fonds du monde, avec plus de 100 milliards de dollars d’encours. En 2022, il a atteint 800 milliards d’encours !

Cependant, le plus grand fonds mutuel ouvert du monde est le Vanguard Total Stock Market, lancé en 1992, avec plus de 1000 milliards d’encours.

C’est d’ailleurs dans les années 90 que Vanguard a pivoté largement vers les fonds passifs. En 1991, les fonds passifs représentaient 1/10 de l’encours de Vanguard. La part a augmenté à 50% en 2000. Nous sommes désormais à ¾. Et Vanguard est le 2e gestionnaire d’actifs du monde avec plus de 7000 milliards de dollars d’encours.

Le premier ETF américain est né suite au krach de 1987

Le Krach boursier de 1987 a été particulièrement brutal. Et les autorités se sont interrogées sur les meilleures façons de limiter ces krachs. La SEC (Security and Exchange Commission) a mis en cause le trading algorithmique, et plus particulièrement la stratégie “d’assurance de portefeuille”. Une proposition était de créer un produit permettant d’échanger en bourse un portefeuille entier d’actions !!!

Plusieurs acteurs tels que la Bourse de Philadelphie ou Chicago Board of Options Exchanges (CBOE) lancèrent des produits de type indiciels (appelés Index Participation Shares – IPS) dès 1989. Ils furent les précurseurs des ETF, mais avec une dose de dérivés importante. Mais finalement ils furent classés en tant que produits dérivés à termes, et ne pouvaient être échangés que sur les Bourses de produits dérivés. Ces proto ETF sont morts rapidement.

C’est alors que la bourse Amex (American Stock Exchange) s’est associée avec State Street pour créer le premier ETF tels que nous les connaissons aujourd’hui. La demande de lancement a été faite en 1990. Cependant, le produit n’a pu être lancé que le 29 janvier 1993. Il s’agit de l’ETF SPY qui suit le S&P 500 et  existe toujours. Pourtant le succès au départ n’a pas été au rendez vous. Amex a même failli le délister très rapidement.  Aujourd’hui cet ETF a un encours de plus de 350 milliards de dollars.

Cependant, il faut savoir que le premier ETF a été lancé au Canada en 1990, le Toronto 35 Index Participation Fund. Les Canadiens se sont largement inspirés des travaux d’Amex, qui les a même aidés (vu qu’ils n’étaient pas concurrents).

De Wells Fargo à Blackrock

La branche de gestion d’actifs de Wells Fargo, appelée WFIA (Wells Fargo Investment Advisors) s’est développée progressivement dans la gestion passive et dans la gestion active, a pris ses distance avec la maison mère, a fusionné avec le japonais Nikko et a été rachetée par la banque anglaise Barclays en 1995. Ils mirent sur le marché leurs premiers ETF (World Equity Benchmark Shares – WEBS) en 1996. A la fin des années 90,  la firme pilotait 36 ETF. En mai 2000, la division ETF fut renommée iShares et commença à développer agressivement les ETF (et non plus principalement les fonds passifs à destination des institutionnels). En 2001, Vanguard lança, en réponse, son premier ETF.

Barclays rachète Lehman Brothers en 2008, après son implosion due à la crise. Mais Lehman entraîne Barclays dans sa chute. Ils doivent trouver de l’argent frais et vendent leur branche de gestion d’actifs, Barclays Global Investors, en très bonne santé financière en particulier grâce à iShares .. à Blackrock.

Blackrock a été fondé par Larry Fink à la fin des années 80 comme une division de la firme de Private Equity Blackstone, sous le nom de Blackstone Financial Management. Blackrock s’est séparé de Blackstone en 1994. Blackrock est entré en Bourse en 1999. Ils se sont développés très vite à la fois en croissance interne (et notamment leur technologie, Aladin), et en achetant des concurrents.

Blackrock annonce le rachat de Barclays Global Investors (dont iShares) le 11 juin 2009 pour plus de 13 milliards de dollars (qui deviendront 15 milliards de dollar au final, car une part du deal était en actions blackrock qui ont augmenté entre l’annonce et la clôture du deal)..

Conclusion

L’histoire des fonds passifs et des ETF est souvent mal connue. Les pionniers, et en particulier Wells Fargo, ont lancé les premiers fonds passifs dans les années 60. Cependant, ces fonds étaient réservés aux institutionnels. C’est bien John Bogle qui a démocratisé les fonds passifs auprès des particuliers à partir du milieu des années 70.

Bogle n’était pas un grand fan des ETF, car il ne voyait pas l’intérêt d’avoir un produit coté en continu, alors qu’il faut investir pour le long terme.

Le premier ETF américain a été lancé par Amex/State Street en 1993. Cependant, Barclays Global Investor (BGI) a été le gestionnaire d’actifs qui a réellement lancé les ETF à grande échelle, avec sa division iShares. Blackrock a racheté et est devenu le N°1 de la gestion d’actifs dans le monde.

La gestion passive et les ETF sont longtemps restée marginaux. Par exemple, en l’an 2000 il n’y avait que 88 ETF, avec un encours de 66 milliards de dollars. Aux Etats-Unis, il y a désormais pratiquement 3000 ETF (et plus de 8000 dans le monde), avec un encours de 7000 milliards d’USD.

Les deux plus grands gestionnaires d’actifs sont des géants de l’investissement passif :

  • Blackrock gère 10 000 milliards de usd dont les ⅔ en gestion indicielle
  • Vanguard gère 7 200 milliards de usd avec des frais annuels moyens de 0,09%

Je vous souhaite le meilleur pour votre patrimoine … et surtout pour tout le reste.

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4 commentaires

  1. investor-Mon-argent.fr dit :

    Merci pour cette super leçon d’histoire des ETF ! Très instructif de savoir comment ces produits ont m’émerges !

  2. Christian dit :

    Merci pour ce retour historique sur les ETF.
    J’aime bien la photo, je me souviens de mon début dans ma carrière pro, j’avais été impressionné par ces gros IBM avec les cartes perforées …. Je précise que je suis pas loin de la retraite.

  3. Merci Edouard pour ces infos. Je comprends pourquoi je ne me rappelle jamais d’une date précise pour les ETF: entre les fonds passifs, les ETF, ceux accessibles aux pros, ceux accessbiles aux particuliers…c’est pas une ligne droite !

    Un petit mot sur votre 1er livre Epargnant 3.0: je viens de l’acheter pour la 6ème fois (je l’offre à des proches/amis), il est très bien.

  4. VIVIER-LAROCHE MARIE-ALINE dit :

    Merci pour cet aspect historique très intéressant